Lawrence Warke est né et a grandi à Empire City, dans les quartiers pauvres du Neon. En tant qu'aîné d'une fratrie de trois enfants, c'était souvent à lui d'assurer le rôle de la figure autoritaire, son père travaillant à plein temps dans une usine tandis que sa mère, cuisinière dans un restaurant-grill, enchaînait les heures supplémentaires pour payer le loyer. Jusqu'à ces douze ans, le garçon grandit dans ce milieu pauvre, où les trois-quarts des pères de ses amis battaient leur femme ou leurs enfants. Élève appliqué, mais peu doué pour les études, il connut une scolarité classique, sans redoublement, intégrant en parallèle l'équipe de base-ball de son quartier. C'est au cours de son treizième printemps que le Destin vint toquer à sa porte. Son petit frère jouait avec des allumettes, tandis que lui et sa sœur finissaient de plier le linge. Un geste malheureux de la part du cadet embrasa la chambre du pyromane inconscient, qui se retrouva cerné par les flammes. Paniqué, confronté à l'urgence d'une situation qu'il ne maîtrisait absolument pas, Lawrence perdit son sang-froid et courut appeler les voisins, pleurant à chaudes larmes, sa sœur à sa suite. Ni une, ni deux, les pompiers furent prévenus, et l'on put par chance tirer le malheureux du mauvais pas dans lequel il s'était fourré. Assistant avec de grands yeux à la démonstration de ce sauvetage rondement mené, un jeune adolescent du Neon sentit naître en lui une vocation de héros urbain.

Ce projet de carrière n'enthousiasma pas les parents de l'aspirant pompier, qui avaient espéré que leurs économies, fruit d'un labeur immodéré, serviraient à financer des études supérieures pour leurs trois enfants. Buté et obstiné, l'aîné de la famille batailla trois années durant, menaçant de ne pas aller en cours pour s'exercer à grimper aux arbres ou à éteindre des feux. En échange de la promesse de Lawrence de continuer l'école jusqu'à ses seize ans, les Warke déposèrent les armes, préférant avoir un fils soldat du feu avec un bagage culturel minimal plutôt qu'un voyou traînant dans les rues et rencontrant les mauvaises personnes. Cette orientation profita également à Alicia, la seconde de la fratrie, qui envisageait depuis quelques temps une carrière d'avocate mais savait qu'un tel parcours coûterait horriblement cher. Chacun y trouvant son compte, la décision fut arrêtée, et Lawrence obtint même l'autorisation d'aller aider les pompiers de la caserne chaque samedi après-midi (une fois ses devoirs expédiés). Là, on lui faisait nettoyer les camions, nourrir et sortir le chien, préparer les équipements, ranger les tuyaux, vérifier les extincteurs... Heureux de se sentir utile et fier de partager le quotidien de ses idoles, le jeune bénévole ne ménageait pas ses efforts, apportant avec lui une bonne humeur et une énergie stimulante pour les pompiers assermentés. Ces deniers ne tardèrent pas à encourager l'adolescent, lui indiquant quels exercices pratiquer pour se maintenir en bonne forme physique, quant ils ne lui apprenaient pas carrément à utiliser une lance à incendie ou à s’arnacher convenablement. Sans surprise, on le vit postuler le jour de son vingt-et-unième anniversaire à la caserne centrale d'Empire City pour devenir pompier. Les épreuves de sélection s'y déroulaient, puis on répartissaient les nouvelles recrues entre les trois secteurs de la ville. Athlétique, révisant depuis des mois et coaché par ses amis de la caserne du Neon, Lawrence fit forte impression, réalisant de si bonnes performances qu'on l'affecta à la caserne du centre historique, dans la vieille Empire City. Fiers des efforts déployés par leur fils, les Warke félicitèrent ce dernier, que le cadet admirait avec envie. Alicia, pour sa part sur le départ pour Capitol City et sa prestigieuse université de droit pénal, congratula son grand frère avec autant voire plus de fougue, ayant suivi l'évolution du jeune homme jusqu'à ce que sa détermination soit récompensée.

Deux ans plus tard, le nouvellement promu chef d'équipe Warke fit la rencontre d'une certaine Jenny Ellison, jolie brune aux yeux ambrés résidant à Casinopolis. De passage à Empire City, elle avait été dépêchée par son employeur (propriétaire d'une galerie d'art) pour y rencontrer un artiste prometteur désireux d'exposer. Les deux célibataires s'étaient retrouvés dans le même bar, à décompresser après une journée épuisante. L'un avait offert à l'autre de lui payer son martini, laquelle s'était empressée d'accepter avec un sourire enjôleur. Percevant l'invitation implicite, Lawrence avait sans remord délaissé ses collègues pour passer une nuit inoubliable à draguer la belle inconnue, la soirée se terminant sur un échange de numéros. Aux anges, l'afro-américain séducteur de ses dames savoura sa conquête, ne se doutant pourtant pas qu'il venait de discuter avec la femme de sa vie. Les tourtereaux régularisèrent leurs rencontres, apprenant à connaître l'autre entre deux nuits de passions, laissant gentiment leur liaison devenir de plus en plus sérieuse, jusqu'à ce que Jenny tombe enceinte. Le père allait sur ses vingt-six ans, et avait été pressenti pour recevoir une promotion au rang de chef de surveillance de sa caserne. Ce qui sous-entendait plus de responsabilités, et moins de temps pour une vie de famille. Bien conscient de ces implications, Lawrence sonda l'opinion de sa famille, de ses parents et de ses frères et sœurs, avant d'annoncer à son aimée qu'il désirait faire ce qu'il fallait pour leur enfant. Abandonnant sa promotion, le pompier emménagea à Casinopolis, chez Jenny, exploitant ses impeccables états de service et son pedigree pour obtenir une mutation à la caserne de Twilight Suburb, qui avait à son actif le plus grand nombre d'incendies à gérer par mois.

La petite Nadia vint au monde le 6 Juin 2000, comblant de bonheur ses jeunes parents. Jenny aménagea son emploi du temps pour pouvoir travailler à domicile, laissant son conjoint arpenter la ville pour y faire ses preuves. Efficace, moins bourru et plus pédagogue que le précédent chef d'équipe, Lawrence gagna en quelques semaines le respect de ses hommes, effectuant par ailleurs une ou deux actions d'éclat au cours de ses interventions, dont un sauvetage in extremis de garçon suspendu au-dessus du vide. Un petit article dans le journal du 03 mars 2002 lui valut une décoration par le maire et une nuit très animée avec sa femme, si heureuse en ménage qu'elle ne manquait jamais le moindre bal des pompiers. Admirer son homme faire un strip-tease sous les encouragements d'une foule de célibataires n'avait pas de prix (et l'embrasser à pleine bouche devant toutes les prétendantes encore moins !). Le 12 Janvier 2001, une certaine Faith Wark voyait le jour à Casinopolis.
La vie était douce au jeune couple. Les salaires des deux travailleurs leur permirent de devenir propriétaires d'une petite maison dans le Twilight Suburb après la vente de leur ancienne appartement (et grâce à un crédit de dix ans). Jenny avait fort à faire pour tenir les deux petites à l'écart des dangers, une version enfantine de la tâche qui accaparait Lawrence du soir au matin. Car du travail, il y en avait, dans une cité bâtie au cœur d'un désert brûlant ! Par bien des aspects, Empire City manquait au garçon du Neon. Son climat doux, ses rives iodées, et surtout sa faune. Casinopolis ne comptait pas beaucoup plus de criminels que sa grande sœur ; en revanche, on y retrouvait la plus forte concentration d’accrocs au jeu du pays. Vampirisant ce vivier prolifique, plusieurs casinos s'étaient empressés de saisir la manne financière en développant des systèmes tous plus addictifs les uns que les autres, une activité qui agaçait l'homme aux racines Ghanéennes. Pour lui, ce que des individus comme Kennedy ou Crâne faisaient ne différait en rien d'un dealer vendant à un coût exorbitant de maigres doses de drogue. Plus d'une fois, le soldat du feu prêta de l'argent à ses collègues, conscient qu'en dépit de leurs promesses, il n'en reverrait jamais la couleur. Jenny n'approuvait pas vraiment la générosité de cet acte, qui s'apparentait plus à du gaspillage de son point de vue. Pour autant, elle préférait partager la couche d'un homme trop généreux plutôt que trop grippe-sous.

En 2006, Lawrence fit sa demande de mariage à sa femme, une chose qu'il attendait depuis longtemps. Leur relation durait depuis six ans déjà, et le trentenaire, finalement promu chef de surveillance, considéra qu'une officialisation s'imposait à présent que Nadia et Faith n'étaient plus des nourrissons. L'événement permit aux deux heureux mariés de renouer avec leurs familles respectives, de recevoir une multitude de félicitation et pléthore de présents. La joie et l'allégresse parfumèrent l'atmosphère, marquant le début d'une vie de famille en bonne et due forme pour Monsieur et madame Warke. Jenny quitta son travail à la galerie pour devenir conseillère indépendante, ouvrant un site web afin de faciliter le contact avec sa clientèle ; de son côté, son mari s'inscrivit à l'examen écrit permettant de devenir chef de caserne, un poste qui lui donnerait davantage de temps à passer avec ses filles. Cette inscription ajouta à ses journées de travail normales des heures de cours sur l'administratif et le management, deux matières auxquels l'homme ne comprit absolument rien. Sa tentative se solda par un échec, qu'il relativisa en se promettant de réussir dans quelques années. Dans l'intervalle, son quotidien se partagea entre ses interventions, ses soirées à des galas ou à des interventions pédagogiques dans les écoles et sa vie de famille. Nadia démontrait de très bonnes facultés intellectuelles, qui faisaient dire à son père qu'elle tenait ses facilitées de sa tante Alicia. La cadette, quant à elle, explorait vaillamment son univers, démontrant qu'elle aussi avait du sang Warke dans les veines.

La nomination du chef de surveillance Warke à la tête de la caserne du Twilight Suburb se fit courant 2009, date à laquelle il allait recevoir la prémonition qui changerait sa vie. Accompagnant sa femme et ses filles à la fête foraine, il tomba sur une diseuse de bonne aventure gitane, qui lui offrit une consultation gratuite en sentant son scepticisme. D'un air grave, la vieille femme mit en garde son vis-à-vis contre un chat noir, qu'il ne réussirait pas à sauver des flammes, car la bête en mourant, provoquerait une avalanche de malheurs sur Lawrence. Un sourire railleur aux lèvres, l'intéressé félicita la comédienne pour son jeu d'acteur, avant de s'en retourner vers les siens, qui l'attendaient avec une barbe à papa proprement dantesque. Puis vint le fameux jour où un chat noir, bloqué au sommet d'un arbre, se retrouva encerclé par un incendie d'origine accidentelle. L'été sec avait facilité un départ de feu qui menaçait un félin, que les pompiers courageux essayèrent de sauver. Mais le vent, les flammes et un problème à la borne incendie conspirèrent pour condamner la pauvre créature à une fin tragique. Ayant complètement oublié l'avertissement de la gitane, Lawrence ne s'en émut pas outre mesure. Deux semaines plus tard, la Métasphère explosait à Empire City faisant de nombreux morts, dont les parents du soldat du feu. Quelques temps après, ce fut Capitol City, lieu de résidence de sa sœur, qui accumula les pertes humaines. Désormais plus que convaincu de la véracité des prémonitions, le trentenaire partit en quête de la diseuse, afin qu'elle lui indiquât comment en finir avec cette loi des séries mortifère. Sans détour, elle commanda au père de famille d'éloigner les siens de Casinopolis, précisant que tout proche restant à ses côtés mourrait. En revanche, s'il évitait à sa femme et à ses filles de mourir, Lawrence eut la promesse qu'il n'aurait plus jamais à craindre pour ses proches.

Persuader Jenny d'emmener les enfants loin de la côte Est alors que lui restait sur place ne fut pas une parti de plaisir, surtout que l'opinion général se considérait parfaitement à l'abri de la fameuse "menace" qui avait ravagé Empire City et Capitol City. Il fallut au trentenaire insister sur le principe souverain de précaution, négocier âprement, expliquer pourquoi aller à contre-courant de la logique la plus élémentaire représentait la meilleure décision, et promettre de ne jamais reproduire ce genre de séparation pour que, finalement, la jeune femme accepte de se plier aux exigences de son mari. La Bête se trouvait encore bien loin de Casinopolis lorsqu'une voiture et ses trois occupants se mirent à rouler vers l'Ouest, chez une tante de Jenny. Les semaines suivantes mirent à rude épreuve les nerfs du chef de caserne, qui se demanda chaque soir dans son lit s'il n'avait pas obligé les personnes qui comptaient le plus pour lui à le quitter sans raison valable. Puis, invariablement, il repensait à se parents morts, à sa sœur, et au serment qu'il s'était fait de protéger sa famille à tout prix. Las, il sombrait dans un sommeil sans rêve, avant de retourner sauver des vies. Jusqu'au jour où une explosion secoua la ville, grondant en un hommage grinçant à la Métasphère d'Empire City sur Ground Zero. Mieux préparées, les autorités lancèrent le dispositif de mise en quarantaine sans attendre, réquisitionnant tout homme ou femme pouvant faciliter l'évacuation des blessés. Le point de non-retour venait d'être franchi. Qu'il le veuille ou non, Lawrence était à présent enfermé loin des siens, dans un environnement dangereux, et il avait à charge de ne pas y laisser la vie.

Une lutte permanente pour sa survie venait de débuter...