Sous le ciel, les étoiles

Comment en était-on arrivé là ? C'était une question que Jonas se posait le plus souvent. Il regardait le ciel étoilé depuis le terminal 12, dans un aéroport déserté par ses habituels passagers. C'était ainsi depuis la mise en quarantaine de la ville, plus aucun avion ne décollait ni ne se posait sur les piste de Casinopolis. A côté de lui se trouvait un portique pour détecter les objets en métal. Comme s'ils en avaient besoin à présent, alors que des armes bien plus dangereuses se trouvaient dans le creux de leur main? Jonas sera le poing qui provoquait une légère condensation de l'air, ça lui arrivait de temps en temps. Il était presqu'exclu qu'il ait un contact physique avec toute personne, du moins avec ses paumes, sans risque de leur donner un énorme frisson au point d'impact. Des pouvoirs dignes des dieux, certains voyaient ça comme ça, mais est-ce que dieu pouvait empêcher un homme de serrer ses filles dans ses bras ?

La raison de cet présence dans le lieu abandonné, si ce n'est par quelques âmes égarées dans une autre aile de l'aéroport, était un rendez-vous. Un rendez-vous avec un ennemi, un membre des nouveaux fils. Il voulait demander une audience avec de plus haute instance, mais indéniablement, il fallait passer par le bas de l'échelle pour monter les échelons. Espérons juste qu'il s'agissait d'un escabeau et non pas de l'échelle des pompiers. L'endroit était assez étroit et exigu, un lieu parfait pour éviter une embuscade de la part de l'organisation qui dirigeait Carnival Square. Il n'avait pas vraiment confiance, ce groupe faisait la traque aux autres membres des factions adverses, qu'ils soient Rôdeurs ou membre du Syndicat. Alors pouvoir mettre la main sur le leader d'un des camps était une aubaine inespérée. Jonas n'avait pas vraiment demandé à devenir le leader du Syndicat, bien qu'il en soit l'instigateur premier. Mais c'était par la force des choses plus que par envie. Il était en quête, en quête de réponse. Savoir qui était derrière cette foutue métasphère, bien que personne n'avait revendiqué l'explosion. Les nouveaux fils restaient en tête de liste pour les suspects, après tout, ils avaient déclenché les incidents à Empire City et il y avait fort à parier que New Marais avait également été victime de leur mégalomanie.

Jonas tira la manche de son manteau. L'endroit n'était pas chauffé et les nuits étaient plutôt froide dans le désert du Nevada, a ajouté à sa température corporel plus basse que le reste des humains de base, alors le bon Jonas portait non seulement un pull mais également un long manteau de couleur crème et son crâne était recouvert d'un chapeau afin de protéger sa calvitie de chauve couronné du froid ambiant. L'heure affichée à sa montre arrivait à 23 heures, l'heure du rendez-vous, mais il n'y avait toujours aucun mouvement de la personne qu'il attendait, ce Luis Crâne. L'arrière de la montre présentait une photo, une photo d'une jeune fille entourée par les bras d'un homme qui ressemblait au directeur du Kennedy's Palace dans ses jeunes années. Le propriétaire en question ne pouvait pas s'empêcher de penser à Sophia, sa défunte épouse à la suite de l'épidémie qui a touché la majeure partie de la population. C'était la raison principale, justement, de la création du Syndicat, Jonas n'était plus animé ici que par la vengeance. Le Syndicat était pour lui l'occasion de chercher le responsable sans devoir rendre des comptes à personne. Car il était bien évidement sûr que tôt ou tard, une milice aurait vu le jour sur le Strip s'il ne l'avait pas fait, ou pire encore, que les Rôdeurs ou les Nouveaux Fils annexent le quartier. Pieds et poings liés, il n'aurait alors rien pu faire.

Jonas reporta son regard vers les pistes qu'il pouvait voir à présent. Il essayait de les distinguer en vérité, dans la pénombre de la lune. Les longues étendues étaient éteintes et on ne pouvait les deviner qu'en partant d'un hangar pour suivre une surface plane. Les pistes se trouvaient là où il n'y avait pas de relief en réalité. Il posa une main sur l'énorme baie vitrée, comme si il voulait se retenir de tomber alors qu'il se penchait vers l'avant. Il ne voyait aucun mouvement. Paranoïaque ? Peut-être un peu, il aurait soupçonné un chien de le surveiller au coin de la rue à partir du moment où ses pieds quittait son quartier. Les prochaines minutes allaient préciser s'il se trompait ou pas. Les aiguilles de la montre raisonnaient dans un puissant tic tac régulier. Inconsciemment, Jonas comptait les secondes de cette manière, pour savoir combien de temps il restait avant… un dernier Tac, ça y est, il était l'heure. Et comme régler telle une horloge suisse, une ombre s'avançait dans le couloir menant là où se trouvait habituellement un avion. Jonas retira sa main de la vitre, laissant une petit marque gelée qui disparu une seconde plus tard.

"Enfin, je vous attendais."

Jonas se tourna pour faire face à son futur interlocuteur. Il regarda l'individu de haut en bas, comme pour l'analyser dans les moindres détails. Machinalement, il écarta les bras et montra ainsi les paumes de ses mains, pour montrer qu'il était désarmé. Enfin, c'était une façon de voir à partir du moment où on peut créer des pics de glace à partir de rien. Il se contenta de rester dans cette position en attendant un signe du Nouveau fils ou au pire, un signe de plusieurs Nouveaux Fils qui allait lui fondre dessus comme des rapaces. Visiblement, rien de tout ça ne se passait, alors que le regard paranoïaque de Jonas parcourait le moindre recoin et la moindre ombre que la lumière ambiante faisait bouger. La seule personne visible pour le moment ne semblait pas, elle par contre, montrer qu'il était désarmé dans un premier temps. Et dans un second, ne montrait pas non plus qu'il craignait une quelconque attaque du Syndicat. Chose logique, l'aéroport se trouvant géographiquement à l'opposé du Strip, parcourir tout le quartier ennemi sans se faire repérer allait être relativement difficile.

Quelques jours plutôt, dans le petit appartement qu'il occupait, Luis, assit à une table, lisait les quelques lignes inscrites sur un bout de papier. Avoir un certain rang prodiguait quelques avantages, comme celui d'avoir un appartement donnant directement sur Carnival Square, mais aussi quelques inconvénients, comme celui de recevoir ce genre de lettre.

Depuis l'explosion de la métasphère, il se considérait comme un homme chanceux. Nonobstant sa survie, il avait réussi à rebondir et à se trouver une place correcte. Il occupait une place particulière dans la hiérarchie des Nouveaux Fils, déjà par l'influence qu'il pouvait avoir sur la leader du mouvement, mais également du fait qu'il était libre de ses mouvements, qu'ils soient en accord ou non avec la politique de son clan.

Les nuits dans le Névada sont bien fraiches, étonnant quand on sait qu'à midi il peut faire facilement plus de quarante degrés. Mais l'explosion de la métasphère avait eu un effet tout particulier sur Luis, ce qui lui permettait de se balader en chemise et veste légère. Il avait cirés ses chaussures, c'est à faire quand on sort et le tac, tac régulier de ses talons sur le sol rythmait sa progression. Il approchait de l'aéroport presque désaffecté, où, d'après un laconique message, il devait retrouver un membre éminent d'un des clan rival, le Syndicat.

Le parking était désert, des épaves de voitures posées ça et là. Luis, qui se déplaçait maintenant presque exclusivement à pied ou parfois en moto, se mit à penser, avec nostalgie, à cette époque où posséder une voiture était entré dans les codes de la société. Mais ce n'était pas le moment de rêvasser. Il avait un rendez-vous avec un membre d'un clan adverse, ou peut être plusieurs membres, même si le message ne laissait rien entendre de la sorte. Luis avait regardé la formation des clans d'un oeil amusé, avant pourtant d'en rejoindre un pour des raisons toutes personnelles.

Enfin, il arrivait au lieu de rendez-vous. Au loin, il aperçut une silhouette, son mystérieux interlocuteur était donc déjà là.

"Enfin, je vous attendais."

Luis, aux aguets, regardait à gauche, à droite et jeta un coup d'oeil derrière lui. Personne, pas l'ombre d'un garde du corps ou même d'un vulgaire homme de main. L'homme en face de lui, le détailla de haut en bas, avant de finalement écarter ses mains pour lui montrer qu'il n'était pas armé. Luis non plus n'était pas armé, pas d'une arme à feu traditionnelle en tous cas, car une arme à feu, il en était bien une. Après quelques secondes, il décida à son tour de présenter les paumes de ses mains et d'écarter les pants de sa veste, simple politesse.

Luis

- Monsieur Kennedy imself. Je suis impressionné. Que me vaut l'honneur. -

Luis semblait être venu comme Jonas, à savoir désarmé d'arme conventionnel, mais également sans une troupe qui pourrait aisément les mettre à mal, autant l'un que l'autre. Encore que, était-ce bien nécessaire d'avoir ainsi de l'aide quand on sait que les deux protagonistes pouvaient sans problème se donner des grands coups de leurs pouvoirs respectifs. Pour le moment, Jonas mettait sa paranoïa de côté et jouait la carte de l'entende cordiale entre deux hommes que le destin avait fait prendre des chemins très différent. D'un côté, Jonas, un leader malgré lui qui se contentait de suivre une quête personnelle obnubilante et de l'autre, Luis qui avait tout à la fois d'un parfait mafieux qui aime se montrer et d'un homme qui pouvait tirer les ficelles dans l'ombre. Une curieuse combinaison relativement contradictoire à vrai dire. Néanmoins, la métasphère avait affecté les deux porteurs. Jonas avait fait ses devoirs avant de se présenter au rendez-vous, il savait que Luis avait hérité d'un pouvoir pyrokinétique, le direct opposé de Jonas une fois de plus. Mais au moins, il semblait tous les deux jouir d'une certaine sagesse et d'un pseudo respect l'un envers l'autre. A compté que Luis et les nouveaux fils n'étaient en rien responsables dans l'explosion qui avait ravagé un coin de la ville. Dans le cas contraire, il risquait de mettre leur QG à feu et à sang… enfin, à froid et à sang pour être exacte. Ca se brise facilement des statues de glace, vous savez ?

"Monsieur Kennedy himself. Je suis impressionné. Que me vaut l'honneur."

Comme on pouvait habituellement le dire, la réputation du leader du syndicat l'avait précédé. Espérons juste que le côté "frapper quand ça ne lui plait pas" n'avait pas fait son petit bout de chemin. Vu que notre ami ne semblait pas plus méfiant que ça, Jonas en déduit que tout était sauf de ce point de vue là. C'était à la base une simple visite de courtoisie et c'était pour ça qu'il n'avait pas voulu s'entourer d'allier, histoire de montrer patte blanche face à l'ennemi, une guerre civile entre les deux clans n'étaient pas réellement bien vue et certainement pas une bonne idée vu les temps qui court. Les trois groupes se regardaient en chien de Fayence depuis chacun de leur quartier général, que ce soit d'une tour, d'un casino… ou dont ne savait pas trop où pour les Rôdeurs d'ailleurs. Jonas avait même demandé à Rafaël de rester en retrait de cette affaire, pourtant son garde du corps personnel qui le suivait partout. Bien entendu, il avait aussi laissé des directives s'il ne revenait ou si son retour tardait sans donner de nouvelle. Rafaël devait venir le retrouver par tous les moyens possibles.

"Je suis heureux de voir que ma lettre est arrivée à destination… et encore plus de voir que je ne me suis pas tromper de destinataire, ravi de voir que vous avez accepté les conditions de la rencontre."

Jonas faisait bien entendu référence à l'absence de garde rapprochée pour les deux hommes. Les présentations étant faîtes, si on pouvait dire ainsi, ils allaient pouvoir passer au vif du sujet. Jonas ne pu s'empêcher de jeter un dernier coup d'œil par-dessus l'épaule de Luis pour vérifier une ombre suspecte, mais visiblement, son imagination lui jouait encore des tours. Il remit ses mains dans les poches de son long manteau au col relevé avant de prendre une profonde inspiration en baissant la tête, juste histoire de bien remettre ses idées en place pour la suite des évènements. Il releva la tête en expirant et plongeant son regard directement dans les pupilles du nouveaux fils.

"Je ne vais pas y aller par 4 chemins, je dois parler à Héléna. Je viens ici pour demander une entrevue amicale. Mais sachez que je suis prêt à tout pour la voir… de grès ou de force."

Jonas n'avait pas employé le ton de la menace dans ses paroles, juste celle d'un avertissement, il voulait que tout se passe pour le mieux et il voulait surtout que tout se passe vite. Il ne quitta pas du regard le principal intéressé, laissant de côté tout ce qui pouvait les entourer, comme si sa paranoïa venait de s'envoler d'un coup et que seul comptait la réponse. C'était une erreur que l'expérience aurait du lui apprendre, mais que son tempérament et la précipitation encourageaient vivement son cerveau de faire une croix sur le sujet. Sans quoi, il aurait sans doute pu apercevoir qu'un reflet était visible deux ou trois terminaux plus loin, dans leur direction. Reflet de jumelle ou d'une lunette de fusil sniper. Il aurait pu aussi avoir ses oreilles attirées par un bruit lent de pas de loup à l'extrémité du couloir qu'ils occupaient. Et que dire des quelques ombres sur la piste que profitaient de l'obscurité pour s'approcher par l'extérieur. Mais il était à présent sourd et aveugle de cette menace fantôme.

Quelques heures plus tôt, QG des forces armées.

"Mon général, nous l'avons repéré."

Le général en question, dans son costume en treillis releva son nez de la carte de Casinopolis posé sur la table. Le bout de son cigare émis une faible lueur rouge comme première réponse alors qu'il regardait d'un regard ravi le jeune soldat. Le camps était placé à la limite de la ville, derrière l'énorme barricade qui devaient empêcher quiconque de rentrer ou de sortir, normalement. Il retira le cigare de sa bouche pour faire tomber les cendres à même le sol.

"Excellent, excellent, notre contact ne s'était donc pas trompé ! Lancez l'opération, dès qu'ils sont réunis, je veux que vous les arrêtiez, vivant si possible, mort si nécessaire."

Le général remis son cigare au bout de ses lèvres et se replongea sur la carte. Un plan de grande envergure sur la ville se refermait petit à petit.

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