Astor est né et a toujours vécu à New Marais, une ville à nulle autre pareille, qu’il adorait, et où il avait ses racines. Il y menait une vie sans histoire, ayant repris l’affaire familiale, c'est-à-dire un petit garage pratiquement à la sortie de la ville et bâti sur le terrain de la maison de ses parents. Lui-même occupait un petit appartement en limite du quartier français si typique et toujours animé.

Il avait une fiancée, et pour eux, c’était le temps des grands projets. Comme beaucoup d’Américains, ce cadre paisible fut bouleversé par des événements qu’il faut bien désigner par « surnaturels ». Chacun a pu voir ce qu’il est advenu de la principale ville du pays, Empire City : l’explosion des métasphères, des gens qui se sont mués en monstres, la mort, l’épidémie, la quarantaine, l’instauration du chaos, puis, pour finir, l’arrivée de la Bête qui a commencé à ravager toute la côte est. C’était un véritable cauchemar relayé heure après heure, jour après jour par les médias du pays et du monde entier.

Tous se demandaient, avec anxiété, comment les choses allaient évoluer, si l’armée ou un éventuel sauveur allait pouvoir mettre fin à ce cauchemar. Tous espéraient que la progression de la Bête serait stoppée et chacun, en son for intérieur, priait pour que ce soit la ville voisine qui tombe sous les assauts du monstre, mais que la sienne soit épargnée…

Hélas, rien ne semblait pouvoir donner un coup d’arrêt à la progression de la Bête. New Marais connut le même destin qu’Empire City : l’apocalypse, la dévastation et le chaos. La ville fut entièrement détruite, Astor perdit ses parents ainsi que sa fiancée. Il fit partie des rares personnes à s’être relevé après la grande destruction de New Marais. Dans un décor de fin du monde, la plupart des gens ont péri, les autres ont été contaminés, quant à ceux qui s’en sont sortis indemnes, on savait ce que cela signifiait, ils n’étaient plus les mêmes…

Dans le cas d’Astor, il ne comprit pas en quoi consistait le changement. Contrairement à d’autres, il ne lançait pas de rayons, ne s’était pas vu doté d’une force surhumaine ou ne créait pas d’arcs électriques avec ses mains. Mais qu’importe, la priorité, c’était de fuir. Fuir encore et toujours, fuir vers l’intérieur des terres, fuir toujours plus loin vers l’ouest, là où on espérait être enfin à l’abri. Comme beaucoup de ses concitoyens, Astor se retrouva jeté sur les routes, sans ressources. Dans ces conditions, ce fut « chacun pour soi et Dieu pour tous », cependant, il est choquant de constater la rapidité avec laquelle l’homme est devenu un loup pour l’homme, la situation désespérée faisant voler en éclat le peu de verni de civilisation qui subsistait…

Astor a longtemps erré sans destination précise en tête alors qu’une légende urbaine commençait à émerger selon laquelle il existerait une terre épargnée, sûre et inaccessible pour la Bête. On situait cette « terre promise » tantôt au sud, après la frontière mexicaine, tantôt au nord, quelque part sur le vaste territoire du Saskatchewan… Mais comment accorder le moindre crédit à de telles affabulations qui racontent tout et son contraire ? Dans les conditions qui étaient celles d’Astor et des autres survivants, chaque kilomètre de plus constituait un véritable exploit.

Collins fit tout pour tenir bon. Même dans l’adversité, le manque de nourriture, de sommeil, l’hostilité (personne ne comprenait réellement pourquoi il était toujours vivant, ne manifestant aucun signe quelconque de mutation), il sut conserver sa dignité humaine. Son leitmotiv : tenir et avancer toujours vers l’ouest, loin de la Bête, loin de New Marais, loin de sa vie détruite.

C’est ainsi que ses pas le menèrent à Casinopolis, après un périple de plusieurs mois et près de 3000 kilomètres depuis sa ville natale. À son grand désespoir, la situation de la « ville du péché » n’était pas vraiment meilleure que partout ailleurs. Hormis quelques îlots de tranquillité, le reste de la cité était en proie à une anarchie indicible. Cependant, Astor ne pouvait fuir indéfiniment, à la recherche d’un Éden qui ne viendrait probablement jamais. Il était sale, fatigué, las d’être sur les routes et Dieu sait comment il avait pu tenir jusque-là…

Casinopolis ressemblait donc fort à une option, sinon une nécessité. Pourtant, que faire ? Vers qui se tourner ? Astor avait fini par entendre parler d’un mystérieux groupe, à moins qu’il ne s’agisse d’une confrérie, d’une secte ? Il se faisaient appeler les « Nouveaux Fils », rien que ça. Astor apprit qu’il s’agissait, dans les faits, d’une véritable armée qui détenait Carnival Square, le quartier des affaires. Situé à l’ouest de Casinopolis. C’est là que se tenait le siège des Nouveaux Fils et, selon les rumeurs, ils cherchaient à recruter le plus de porteurs possible… Après tout, même s’il ignorait tout de ses pouvoirs, Astor ne pouvait qu'être un porteur, pas de doute possible et les Nouveaux Fils auraient probablement une place pour lui…